Et si on se lâchait la grappe !

En ses temps où les libertés individuelles sont mises à mal qu’en est-il de nos dictatures intérieures ?

Anaëlle, premier jour d’un stage de jeu face à la caméra. Première scène. Elle y met tout son coeur. Elle est d’autant plus motivée que son professeur de théâtre lui reproche de toujours s’observer en jouant comme si une caméra invisible saisissait chacun de ses mouvements. « On ne peut être acteur et juge » lui répétait-il sans cesse. C’est pour cette raison qu’elle tenait tant à faire ce stage. Elle y a mis ses économies. C’est parti pour trois semaines intensives.

 Cependant, l’après-midi de ce premier jour, au moment du visionnage des séquences tournées, elle fond en larme et part avant la fin du cours, au beau milieu de la séance, sous le regard éberlué du coach et de ses stagiaires. 

De honte, elle n’y remettra plus les pieds.

Elle n’a pas supporté de se voir… jouer, certes, mais pas seulement. Elle a détesté voir les défauts de son corps, de ses expressions, de sa façon de se mouvoir, sa voix… Se voir a été un choc. 

Elle est pourtant d’une grande beauté. « Alors, quoi ! De quoi se plaint-elle ? »

Tant de souffrance et tant de jugement. À sa décharge, sa beauté est plus un fardeau qu’un cadeau. Elle doit donner le change et être parfaite. Fidèle à l’image qu’on lui renvoie d’elle sans cesse. Depuis si longtemps. 

D’ailleurs, on ne lui donne que des rôles de jeune première. Jamais on ne lui a donné l’occasion de se grimer et s’enlaidir. Seulement pour le plaisir de jouer. 

Anaëlle doit répondre à une double dictature. Celle que lui infligeait le monde extérieur et pire encore, la sienne. Elle se met une pression terrible pour correspondre aux attentes des autres, ou de celles, qu’elle imagine être les attentes du milieu dans lequel elle évolue. 

Résultat, elle est dans un « hyper contrôle ». 

Or, jouer c’est avant tout lâcher prise sur le résultat. 

Garder la ligne absolument, bien s’habiller, avoir une peau parfaite, toujours bien se tenir… tout doit être parfait, mais la perfection est une illusion. 

Rappelez-vous de cette scène du dîner dans « Coup de foudre à Nothing Hill » au cours de laquelle Julia Roberts avoue avoir faim depuis une décennie parce qu’elle s’astreint à un régime et avoir eu recours à la chirurgie esthétique pour satisfaire aux exigences de son métier, avec l’épée de Damoclès des ravages du temps qui passe.

https://www.facebook.com/watch/?v=2294395217514673

La pression que subissent les acteurs (je ne parle même pas des mannequins), et toute personnalité médiatisée est incommensurable. Cela donne naissance à des troubles parfois graves de l’alimentation, des addictions (certaines drogues permettant de tenir à jeun) et du comportement.

Cette pression qui fait naître le besoin de contrôle, fait également barrage au lien avec l’autre et génère des angoisses de persécution. L’autre devient le juge et le critique. L’enfer devient l’autre avec son regard inquisiteur.

Comment bien jouer si nous nous coupons de nos sensations corporelles, nous les nions, pire,  nous les maltraitons ? 

Comment bien jouer si l’on se sent observé ? 

S’il y a gêne, il n’y a pas plaisir et s’il n’y a pas plaisir partagé (avec le public, ses partenaires…) il n’y a pas créativité.  Quelle que soit la forme d’expression artistique, elle ne peut s’épanouir dans le déni de son corps et sans la relation à l’autre.

Depuis quelques années, fort heureusement une prise de conscience de l’importance de s’aimer et s’accepter se manifeste à travers notamment le Body Positive. Chouette mouvement tant qu’il ne rejette pas les femmes considérées comme « trop » belles pour en faire partie ; comme  Anaëlle qui n’aurait finalement pas le droit de se plaindre. 

Petit aparté pour les femmes. Il ne faut pas perdre de vu que le poids (sans mauvais jeu de mot) des atavismes est énorme. Les femmes ont été mises en concurrence sur le principal critère de leur beauté et de leur fertilité pendant si longtemps. Des générations entières de femmes qui ne pouvaient s’en sortir socialement qu’en faisant un « bon mariage », et pour cela il fallait être la plus belle, pour être celle qui serait choisie. 

Le poids du transgénérationnel est encore très présent et assommant dans cette dictature de la beauté malgré les actions actuelles pour essayer d’en sortir.

Soyons tendres avec nous et essayons de nous réconcilier avec notre corps. 

Pour cela il faut cesser de le bâillonner. Le risque majeur étant qu’il finisse par se manifester et se révolter par la maladie (cf : mal à dire).  

Il existe plusieurs manières d’apprendre à communiquer et communier avec lui. Le sport, la marche, la relaxation… Il existe tellement de propositions aujourd’hui, quelle bonne nouvelle, n’est-ce pas ?

Un exercice que j’aime pratiquer et que je conseille est le scan corporel. Il existe de nombreuses vidéos sur le sujet. Cela prend 10 minutes par jour. Le mieux, au lever, est de scanner d’abord son corps physique, puis ses émotions. Prendre le temps d’être à l’écoute de ce qui se passe en soi avant de s’ouvrir au monde extérieur. Simplement pour évaluer où on en est, sans jugement. 

J’aime me demander : es-tu ok avec toi aujourd’hui ? Oui ? Non ? Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse. C’est un constat. La véritable humilité est d’être capable de constater aussi bien nos points forts que nos points faibles.

Et vous ? Êtes-vous ok avec vous ?